Monday, January 09, 2006

Février!!!

Une maison dans les ténèbres


Traduit du portugais par François Rosso
José Luís Peixoto, originaire d'un petit village du Portugal, a débuté comme journaliste et critique littéraire, tout en publiant des textes de poésie et de prose, et remporté, trois années de suite, le Prix des Jeunes Créateurs. A 26 ans, son premier roman, Sans un regard (Grasset, 2004), porté par une écriture exceptionnelle et un univers bouleversant, lui vaut le prix Saramago du meilleur roman de langue portugaise. Avec ce livre déjà culte dans son pays, et aujourd'hui Une maison dans les ténèbres, Peixoto s'impose comme l'un des écrivains les plus doués et enthousiasmants de sa génération.

Un monde : lugubre, mécanique et brutal. D ans ce monde, une maison - plongée un mois par an dans l'obscurité la plus totale. Dans cette maison, un narrateur - un écrivain. Il vit là, dans ces limbes étranges et sombres, reclus avec sa mère (silencieuse, immergée dans une immense douleur dont on ne connaîtra pas la cause), une jeune esclave dévouée, et une foule de chats. Il vit aussi avec la femme qu'il aime - à ceci près que cette femme n'existe pas : elle est en réalité l'héroïne du roman qu'il est en train d'écrire tout en luttant contre l'obscurité qui, chaque jour, gagne du terrain sur cette maison hors du temps. Entre les ombres d'une violence indicible, la fièvre de l'écriture et les lumières de l'amour désincarné, la frontière entre la création et la réalité s'estompe.
Survient un ami voyageur, innocent radieux mais aussi porteur de récits chargés d'effroi et d'horreur, annonciateurs de désastre : la barbarie, l'agonie du monde…
Livre hors norme, objet littéraire non identifié, joyau ténébreux d'un véritable surdoué de la langue, Une maison dans les ténèbres est une fable onirique et fabuleuse, inquiétante et incantatoire - le roman inouï et hypnotique d'un " voyant " de la littérature.


Ici.

Tuesday, November 22, 2005

Peixoto est à la Bastille!

(Le Monde, «Les Amants de la Guerre», Brigitte Salino)

C'est une proposition particulière dans l'histoire du tgSTAN, qui, pour la première fois, a demandé à un auteur de lui écrire une pièce. Parce qu'elle avait "adoré" Sans un regard, le premier roman de José Luis Peixoto (édité chez Grasset en 2004), Jolente De Keersmaeker (la soeur de la chorégraphe Anne Teresa) a fait le voyage de Lisbonne, et engagé le jeune Portugais (né en 1974) sur le terrain de l'écriture dramatique, qu'il n'avait jamais abordé.
Ainsi est né cet Anathema.

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Anathema

Wednesday, November 17, 2004

Jose Luis Peixoto, Sans un Regard, Grasset

Peixoto chez Editions Grasset

Alors que j'écrivais Sans un regard, je n'étais pas certain de parvenir à achever l'écriture d'un roman. Chaque page était un pas à l'intérieur d'un territoire que je ne connaissais pas sinon par mes songes vagues d'aspirant écrivain, de personne aspirant à achever l'écriture d'un roman. C'est peut-être pour cette raison que, je crois, les premiers romans sont dans la plupart des cas faits de personnages et de mondes que nous charrions en nous pendant bien des années. Pour moi, c'est ainsi que cela advint...

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"Ce livre n’est qu’un style. Ouvrez-le : une écriture poétique vous prend à la gorge et vous entraîne vers des horizons nouveaux. Les personnages, paysans d’un Portugal pauvre et agricole, sont simples ; leur vie est rude et sans éclat. Mais la manière dont José Luis Peixoto les met en scène n’est pas sans rappeler l’univers de Gabriel García Márquez. Sous sa plume, ils deviennent extravagants et prennent mille couleurs. Le soleil, la terre, l’air et ces êtres frustres se mêlent en une mosaïque éblouissante."

Dominique Grosfils

Extrait de "Sans un Regard"

À droite du vieux Gabriel, leurs regards parallèles fixant des points flous et abstraits, se tenaient les deux frères. Semblables étaient leurs regards, mais ils ne voyaient pas la même chose, c’était un même regard posé sur deux choses différentes. Pendant les mois où l’on ne s’en servait pas, c’étaient les deux frères qui s’occupaient du pressoir. Toujours ensemble, toujours côte à côte, ils vieillissaient en même temps : leurs dos avaient la même voussure, leur pas le même alourdissement, et, à leur insu, le nombre de leurs cheveux blancs était exactement le même. Sept décennies et plus encore avaient passé depuis ce matin d’août pur où ils étaient nés tous deux, au même moment, en déchirant de l’intérieur le ventre de leur mère. Les plus anciens racontaient avoir entendu de leurs parents qu’à l’instant où l’on coupait leurs cordons ombilicaux, leur mère les avait regardés, et vu qu’ils étaient siamois. Elle était morte quelques minutes plus tard, sans dire un mot. Tout le bourg avait assisté à ses funérailles, où il avait senti une immense tragédie. Tous les habitants avaient présenté leurs condoléances au père des deux frères, tant pour son épouse que pour ses fils, car tous étaient convaincus que de tels enfants ne survivaient pas. Mais, au moment où on enterrait leur mère, les deux bébés, dans la chambre de leur père, dormaient sur trois couvertures repliées, à côté du lit où leur mère s’était vidée de son sang. Ils dormaient, les deux bébés à la peau toute ridée, leurs mains unies posées sur le drap qui les couvrait, comme dans la fierté innocente d’être frères.
Ensuite, sous les regards soucieux des uns et des autres, ils grandirent comme grandissent tous les enfants. Au fil des ans, nombreux furent ceux qui voulurent séparer leurs mains, et tout le monde se demandait en frissonnant comment ils pouvaient bien vivre : la main droite de l’un et la main gauche de l’autre étaient unies par le petit doigt. Ils avaient des mains très élégantes, fines, aux doigts longs, mais à partir de la dernière jointure de l’auriculaire, ils étaient soudés, et les deux phalanges se terminaient par un seul ongle. Tous ceux qui les voyaient imaginaient des façons de les séparer, mais le plus insistant fut l’homme qui arrachait les dents avec une pince. Plein de zèle, il prétendait connaître des gens qui avaient coupé des foules de jambes et de bras pendant la guerre et avoir lu de nombreux livres, illustrés : selon lui, couper le doigt à un enfant était plus facile que de tailler une vigne. Mais le père des enfants lui demanda comment déciderai-je lequel des deux sera privé de son petit doigt ? Aussitôt, l’arracheur de dents aux tenailles lui répliqua j’y ai déjà pensé, le plus juste est de couper le doigt aux deux. Le père le regarda un instant et ne lui parla plus.

Monday, October 11, 2004

"Deux lignes suffisent, et nous voilá plongés au coeur d'un nouveau continent, d'une terra inviolée dans l'espace litteráire... dans le tourbillon incontrôlable des êtres, des mots et des signes, des paysages et des situations, dans une sublime intrigue dont le lecteur ne peut s'échapper. La grande force de se livre étonnant réside dans l'art avec lequel José Luís Peixoto narre ses histoires repliées sur leur propre démence, et dans se rayon de lumière à la pureté parfaite dont il use pour les assembler et les sauver de l'oubli."

Eduardo P. Coelho

Extrait de "Sans un Regard"

Aujourd'hui le temps ne m'a pas trompé. On ne sent pas la moindre brise dans l'après-midi. L'air brûle, non comme un air simple qu'on respire, mais une haleine chaude de lumière, comme si l'après-midi ne voulait pas mourir encore et que l'heure de la chaleur commençait. Il n'y a pas de nuages ; il y a des traits blancs, très fins, effilochures de nuages. Et le ciel paraît clair, d'ici, on croirait l'eau propre d'un bief. Je pense : et si le ciel était une grande mer d'eau douce, si les gens ne marchaient pas sous le ciel, mais sur lui ? S'ils voyaient les choses à l'inverse, si la terre était comme un ciel et qu'en mourant, ils tombaient dans le ciel et s'y enfonçaient ? Une rivière sans poissons, sans fond, ce ciel… Les nuages, vaisseaux ténus. Et l'air qui brûle du dedans, flammes chaudes et suffoquées dans la peau, invisibles. Suspens de l'air tel d'un homme fatigué.
Il faudra qu'advienne l'instant où l'on ne verra pas un moineau, où, de toutes les choses qui nous observent, on n'entendra signe ou silence. Il adviendra, cet instant. Il faudra le discerner dans l'horizon. Comme je l'ai su à présent, je le savais hier quand je suis entré dans la taverne de judas et que j'ai commandé un premier verre, et le deuxième, et le troisième. Et puis, je savais que par toute la plaine se tairaient les cigales et les grillons. À la rencontre du ciel, les oliviers et les chênes-lièges devront immobiliser leurs rameaux les plus fins. À ce moment, il faudra qu'ils se muent en pierre.

José entra dans la taverne de judas, et la nuit se fit. Il avait encore sur le dos ses vêtements gris de soleil, sur la peau la lumière ocre de la terre. Sur le visage, un sourire déférent. Son bâton précédait ses pas, plus gros à un bout, sale. Sa chienne lasse, qui venait de mettre bas, la peau de son ventre traînant presque au sol et les mamelles alourdies, le suivait. Au comptoir, il posa le sac qu'il tenait à l'épaule, l'appuya, s'appuya. Les quelques hommes qui le saluèrent traînèrent une syllabe indéchiffrable, moribonde. Les autres, sans cesser de parler, de boire ou de jouer aux cartes, levèrent les yeux pour le regarder. La chienne posa ses flancs sur le sol, tendit l'échine en un arc de nœuds osseux que tout le monde connaissait dans son pelage et baissa ses paupières sur ses yeux bruns résignés.
Au moment où José leva son verre et fit couler d'un trait le vin dans son corps, les hommes dans la taverne de judas, vus de l'autre côté de la place, vus de la nuit et du silence, n'étaient plus que l'encadrement d'une porte, un mince chemin que se frayait la lumière en tentant d'avancer sur les terres désertes et dans la nuit plus noire que noire, ils étaient le lieu des paroles indistinctes qui tentaient d'être ouïes dans le silence plus noir que noir. Et José, alors, posa son verre vide sur le comptoir, et près de sa peau, sous la lumière et la parole, immédiate, se matérialisa le sourire vagabond du démon. Il souriait. C'était le seul qui n'eût pas la peau noire de soleil, il portait chemise propre et pantalon repassé, au pli bien net, les cheveux bien peignés sous sa casquette, autour des saillies de ses cornes. C'était le seul qui sourît. Deux verres de rouge, commanda-t-il en souriant. José n'eut pas besoin de le regarder. En silence, il attendit les deux verres, si pleins qu'il s'en fallait de peu qu'ils ne débordent. Tandis qu'ils buvaient, le démon ne le quitta pas des yeux, et même en buvant il paraissait sourire, d'un sourire mince qui s'émiettait et se multipliait en mille et mille sourires menus. Les hommes continuaient ou semblaient continuer leurs conversations infinies, leurs parties infinies ; c'était tout juste s'ils les interrompaient pour guetter les changements sur le visage de José et le sourire narquois du tentateur, ou pour cracher des bribes humides de cigarettes roulées. Et le visage de José se transformait. Les verres qui se succédaient l'emplissaient peu à peu d'une allégresse sans motif, une allégresse de carnaval et de danses répétées pour une fête. Le démon souriait et, tout sourire, lui demanda comment vas-tu, où est ta femme, que je n'ai pas vue ? Un moment, les yeux de José brillèrent et il cessa de murmurer des rires pour répondre elle est où elle doit être, d'où elle n'est jamais partie. Entre-temps, les voix mêlées des hommes étaient devenues mer étendant ses vagues de mots sur les têtes, vagues qui partaient d'une rumeur et s'étendaient, longues, en un tapage diffus, pour refluer ensuite, laissant dans l'air des débris de paroles, des syllabes insignifiantes et désordonnées, telles de vieilles choses dans un grenier. Jamais ? dit le diable tout rire et sourire. José se tut, les hommes se turent aussi, pour écouter une réponse qu'il ne fit pas. Deux verres de rouge, insista le tentateur en souriant. Tu sais, continua-t-il, le géant m'a dit qu'il la connaissait plus que toi, qu'il savait mieux et plus sûrement que toi où elle va et se trouve. Du lointain de son aura d'alcool, José s'arrêta pour écouter. Sur la poussière, les hommes ouvrirent de tout petits yeux, telles des taupes, ils avaient envie de rire, mais ne savaient comment, et poussèrent tout juste un grognement. José répondit ce géant a encore menti, ma femme se trouve où je sais qu'elle se trouve, et où elle doit ; lui, si tu le vois, dis-lui qu'il vienne, oui, qu'il vienne me trouver. Et il leva bien haut son poing fermé, d'un mouvement ralenti il l'abattit sur le comptoir. La chienne se leva et sortit lentement. Qu'il vienne me trouver, dit encore José, que je le crève. Un temps d'arrêt se fit sur les visages des hommes, et, lorsqu'ils eurent attendu un certain temps, un certain instant, tous à la fois se mirent à danser, à voler en cercle et faire la ronde autour de José. Lui, qui distinguait à peine leurs courtaudes silhouettes et le mélange des couleurs, recouvra la gaieté de son visage et tourna, dansa et tomba, tomba, se releva, dansa encore… Dans son coin, le démon sourit, finalement satisfait de sourire.

TRADUIT DU PORTUGAIS PAR FRANÇOIS ROSSO



José Luís Peixoto

Jose Luis Peixoto est né dans un petit village du Portugal. Il est licencié en Langues et Littératures Modernes (Anglais et Allemand). Il débute comme journaliste et critique littéraire, tout en publiant des textes de poésie et de prose dans le supplément du Diário de Notícias (DN Jovem) et gagne, trois années de suite, le Prix des Jeunes Créateurs. A 26 ans, il publie Sans un regard, une écriture exceptionnelle, un univers particulier et bouleversant, qui lui valut le Prix Saramago du meilleur roman de langue portugaise (tous pays confondus).


www.joseluispeixoto.net